Étude de cas

Exploitation sexuelle, expulsions et pollution autour des plantations de Socfin

La multinationale agroalimentaire Socfin fait la une des journaux dans le monde entier en raison de cas d’exploitation sexuelle, de violences, d’expulsions et de pollution autour de ses plantations de caoutchouc et d’huile de palme. Une grande partie du négoce agricole de Socfin se fait via la Suisse.

Notre enquête révèle que diverses plantations appartenant à la multinationale agricole Socfin ont fait l’objet de plaintes de la population locale ces dernières années. @ Maja Hitij

En 2022, alors qu’elle rentre de son champ avec un sac de noix de palme et doit traverser la plantation locale de Socfin, Agnès Soppo, paysanne camerounaise, tombe sur un agent de sécurité qui l’accuse de voler les noix de la multinationale. En compensation, il lui demande un rapport sexuel. Elle refuse. Il brandit alors sa machette, lui ordonne de se déshabiller et la viole.

Agnès Soppo n’est pas la seule à avoir rapporté aux médias ce qui lui était arrivé et à se battre jusqu’à aujourd’hui pour obtenir justice. En effet, ce grave incident sur la plantation de Socfin au Cameroun n’est pas un cas isolé. Notre enquête montre que ces dernières années, des accusations ont été portées par des populations locales ou des organisations non gouvernementales en lien avec au moins 15 plantations appartenant à la multinationale Socfin dans différents pays. Ces accusations n’ont pas de lien entre elles, mais reposent sur des problèmes similaires : exploitation sexuelle, violences, expulsion de la population ou pollution de l’eau.

Socfin est très peu connue en Europe. Cela est dû à l’opacité de la multinationale, dont les activités sont gérées par 30 filiales imbriquées les unes dans les autres et qui est réputée pour réagir violemment aux critiques et poursuivre ses détracteurs en justice.

Pendant la période coloniale, Socfin était l’une des principales sociétés exploitant des plantations. © Maja Hitij

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Passé colonial


La Société Financière des Caoutchoucs (Socfin) a été fondée en 1909 et gère des plantations d’huile de palme et de caoutchouc dans dix pays d’Afrique et d’Asie qui étaient presque tous occupés par des puissances coloniales : Côte d’Ivoire, Ghana, Indonésie, Cambodge, Cameroun, République démocratique du Congo, Liberia, Nigeria, São Tomé-et-Principe et Sierra Leone.

Le fondateur de Socfin

Adrien Hallet, un agroéconomiste belge, a fondé Socfin en 1909 après avoir développé dès 1890 « la culture méthodique de l’hévéa et du palmier à huile au Congo », selon le site Internet de Socfin. Hallet s’est rendu en 1889 en République démocratique du Congo, alors encore État indépendant du Congo, une colonie privée du monarque belge Léopold II. Le gouvernement colonial a commis des atrocités contre la population locale, qui fournissait la majeure partie de la main-d’œuvre pour l’extraction des matières premières : Si les quotas de collecte de caoutchouc n’étaient pas atteints, les sanctions pouvaient aller jusqu’à l’enlèvement de personnes, l’amputation des mains, ou au meurtre. Les sources disponibles ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure Hallet était au courant des atrocités commises au Congo ni s’il y a participé. Des documents attestent que Hallet fréquentait l’entourage de la famille royale et qu’il avait fait fortune grâce au commerce du caoutchouc africain, l’un des principaux moteurs économiques de l’État indépendant du Congo.

Pendant la période coloniale, Socfin était l’une des principales sociétés exploitant des plantations. Lorsque les colonies ont progressivement accédé à l’indépendance dans les années 1960 et 1970, Socfin a perdu un certain nombre de plantations et a créé une filiale, Socfinco, active dans le conseil aux entreprises. Il y a quelques années, une analyse des archives de la Banque mondiale par l’Alliance contre les plantations industrielles en Afrique de l’Ouest et du Centre a révélé comment, dans les années 1970 et 1980, sur mandat de la Banque mondiale, Socfinco avait conçu et soutenu le développement de plantations étatiques d’huile de palme et de caoutchouc dans d’anciennes colonies. La société avait aussi pour mandat, dans certains cas, de gérer ces plantations. Au motif de développer l’économie des pays, ces activités ont entraîné, dans certains cas, l’expropriation de la population locale pour permettre la création de plantations étatiques.

Après quelques années, lorsque certaines de ces entreprises d’État gérant les plantations se sont retrouvées lourdement endettées, Socfin et Siat (une multinationale belge de matières premières fondée par un ancien collaborateur de Socfinco) ont racheté les plantations. Aujourd’hui, Siat et Socfin contrôlent environ un quart des plantations industrielles d’huile de palme en Afrique.

Jusqu’à aujourd’hui, des dizaines de milliers de personnes travaillent sur les plantations de Socfin. En 2023, la multinationale a réalisé un chiffre d’affaires de 863 millions d’euros.

SIAT et SOCFIN contrôlent aujourd’hui environ 25 % des plantations industrielles de palmiers à huile sur le continent africain. @ Maja Hitij

Droits fonciers et exploitation sexuelle

Deux problèmes centraux ont été documentés en lien avec de nombreuses plantations de Socfin. D’une part, un grand nombre de plantations ont été érigées sur des terres utilisées par les populations locales depuis des siècles. Des habitant·e·s ont été expulsés, ne peuvent plus subvenir à leurs besoins par le biais de l’agriculture ou n’ont plus accès à leurs cimetières et lieux sacrés. Souvent, Socfin profite du fait que la population locale a été expropriée par les gouvernements ou que les droits fonciers ne sont pas consignés par écrit. Cela est souvent le cas chez les populations indigènes dont les droits sont pourtant clairement énoncés dans les conventions internationales et devraient être respectés par Socfin.

Socfin profite du fait que la population locale a été expropriée par les gouvernements ou que les droits fonciers ne sont pas consignés par écrit. © Maja Hitij

Le deuxième thème récurrent est celui des violences sexuelles à l’égard des femmes. Beaucoup de familles paysannes dans les régions où Socfin est active vivent dans une grande insécurité économique malgré leur travail acharné. Les femmes qui travaillent dans les plantations sont à la merci de leurs supérieurs, car elles ne savent pas si elles auront encore du travail le mois suivant. Cette situation est systématiquement utilisée pour contraindre les femmes à des rapports sexuels. De nombreux cas d’agression et de viol impliquant des femmes qui ne travaillaient pas sur la plantation, mais qui se trouvaient à proximité ont également été documentés.

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De quelles matières premières s’agit-il ?


L’huile de palme est extraite des fruits du palmier à huile, originaire d’Afrique de l’Ouest.  Depuis des siècles, l’huile de palme y joue un rôle important dans la cuisine et la médecine locales. C’est au début du 20e siècle, en raison de l’augmentation en Europe de la demande en huile de palme, qu’une plantation coloniale de palmiers à huile a été exploitée pour la première fois au Congo, occupé alors par la Belgique (Congo belge). Aujourd’hui, environ un produit sur deux vendu en supermarché contient de l’huile de palme ou de l’huile de palmiste. On la trouve par exemple dans le chocolat et autres sucreries, les plats préparés, les produits de nettoyage, les cosmétiques, les bougies, mais aussi dans les agrocarburants. Les zones productrices sont si vastes à l’échelle mondiale que la Suisse pourrait y tenir au moins six fois. Les plantations de palmiers à huile se trouvent principalement en Indonésie et en Malaisie, mais aussi en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine. La forêt tropicale continue d’être défrichée pour faire place à de nouvelles plantations, des animaux perdent leur habitat et des populations sont directement concernées par les conséquences sociales et écologiques des plantations en monoculture.

La moitié des produits vendus en supermarché contiennent de l’huile de palme. @ Maja Hitij

Le caoutchouc naturel est obtenu en récoltant la sève des hévéas. @ Micha Patault / Green Peace

Le caoutchouc naturel est obtenu par la transformation du latex secrété par certains végétaux. Plus souple et durable que le caoutchouc synthétique, son emploi est privilégié pour les produits qui doivent fonctionner de manière totalement fiable. Il entre notamment dans la fabrication des gants chirurgicaux, des préservatifs, ou des pneus d’avion et de voiture. Jusqu’à ce jour, 40% de la demande mondiale en caoutchouc est couverte avec du caoutchouc naturel.

Le caoutchouc naturel provient principalement de l’hévéa (Hevea brasiliensis). Comme son nom l’indique, cette plante est originaire de la forêt amazonienne du Brésil et a été exportée en Afrique de l’Ouest et en Asie par les puissances coloniales européennes. Aujourd’hui, la majeure partie du caoutchouc naturel est cultivée sur des plantations en monoculture.

Cliquez sur un pays sur la carte ci-dessous pour obtenir un aperçu des nombreux problèmes recensés autour des plantations de Socfin. Dans beaucoup de cas, les personnes concernées se battent depuis des années contre les violations des droits humains et la pollution de l’environnement.

Sierra Leone

Socfin exploite une plantation d’huile de palme au Sierra Leone. Selon FIAN Belgique, les terres de la population locale ont été cédées à bail à Socfin sans procédure de consultation appropriée. Ici aussi, des agressions sexuelles commises par des supérieurs hiérarchiques à l’encontre de travailleuses ont été documentées.

En outre, Socfin est accusée de polluer l’eau. Un pêcheur a rapporté en 2022 à l’organisation Dialogue Earth que l’eau d’une rivière voisine se colorait parfois de brun et qu’on y trouvait des poissons morts. Il supposait que les eaux usées excédentaires provenant des bassins de traitement de la plantation se déversaient dans la rivière.

Nigeria

Au Nigeria, Socfin exploite une plantation de caoutchouc et d’huile de palme qui fait actuellement l’objet de vives critiques. D’une part, plusieurs riverain·e·s continuent à faire état des conséquences du déplacement de trois villages en 2005 et 2008 afin d’agrandir la plantation.  D’autre part, des habitant·e·s et une ONG locale critiquent le fait que la plantation limite l’accès de la population à ses surfaces agricoles, ses écoles et ses lieux de culte. En effet, selon eux, il est interdit de traverser la plantation à certains moments, et une tranchée a été creusée tout autour, ce qui a donné lieu à de nombreuses manifestations.   

De plus, des journalistes locaux et des représentant·e·s d’ONG font état de pollution de l’eau due aux engrais utilisés sur la plantation.

Liberia

Au Liberia, deux plantations de caoutchouc exploitées par Socfin ont fait l’objet de critiques ces dernières années. Il y a tout d’abord la plantation SRC. Différents rapports ont révélé que des travailleuses y étaient exploitées sexuellement par leurs supérieurs. Après de violentes protestations, Socfin a étonnamment vendu cette plantation en 2024. Les habitant·e·s de la plantation craignent que Socfin ne veuille se soustraire à ses responsabilités.  

La plantation LAC, qui est toujours entre les mains de Socfin, fait également l’objet de critiques. En 2019 déjà, un rapport de l’organisation Pain pour le prochain (aujourd’hui EPER), qui est membre de notre Coalition, avait révélé que des travailleuses devaient se prêter à des rapports sexuels avec leurs supérieurs afin de conserver leur emploi. Pour permettre l’agrandissement de la plantation, la population des villages voisins a été chassée de ses terres, en partie de manière violente. Dans un autre rapport, des habitant·e·s ont raconté que la plantation de Socfin déversait des produits chimiques dans une rivière, ce qui avait conduit à la disparition de crabes et de poissons. Beaucoup de villageois·e·s utilisent cette eau pour boire, laver et se baigner.

Cameroun

Socfin exploite plusieurs plantations d’huile de palme et de caoutchouc au Cameroun. Une enquête officielle de la commission d’éthique du fonds de pension norvégien a montré que les femmes sur les plantations sont victimes de harcèlement sexuel généralisé de la part de leurs supérieurs et des agents de sécurité. Aussi bien les femmes qui travaillent sur les plantations que celles vivant à proximité sont concernées. Elles sont poussées à avoir des relations sexuelles avec les hommes pour pouvoir travailler sur la plantation ou simplement pour pouvoir la traverser. De nombreux cas de viols ont également été documentés, comme celui d’Agnès Soppo, évoqué en début d’article. 
Selon la commission d’éthique du fonds de pension norvégien les plantations ont en outre été agrandies sur des zones qui appartenaient aux communautés locales. Les personnes concernées disent n’avoir jamais été indemnisées. Des indices sérieux laissent également penser que certaines plantations polluent les rivières locales avec leurs eaux usées.

Cambodge

Au Cambodge, Socfin détient trois concessions, où des plantations de caoutchouc ont été créées. Selon notre organisation membre FIAN Suisse, un conflit foncier implique actuellement environ 1 000 familles de la minorité autochtone des Bunong, qui vivent depuis des centaines d’années sur les terres que Socfin a obtenues de l’État cambodgien.  FIAN Suisse critique le fait que le gouvernement cambodgien, lors de l’octroi de la concession, et Socfin, lors de son acquisition, n’aient pas respecté les droits de la population indigène, pourtant garantis au niveau international et national.  Les Bunong n’auraient donc pas eu d’autre choix que d’abandonner leur mode de vie traditionnel, de pratiquer une agriculture de subsistance sur de maigres parcelles de remplacement ou de cultiver du caoutchouc pour Socfin dans des conditions problématiques.  Beaucoup de familles n’ont jamais été indemnisées correctement.  De plus, selon un autre rapport datant de 2019, la population s’inquiète de la qualité de l’eau des rivières qui traversent les plantations. 

Ghana

Un article de Bloomberg a révélé en 2025 que des travailleuses de la plantation d’huile de palme et de caoutchouc PSG (Plantations Socfinaf Ghana), se voyaient contraintes par leurs supérieurs à des rapports sexuels sur leur lieu de travail. 

« Quand il dit : « Je te veux », tu dois partir pendant ton service pour avoir un rapport sexuel dans les buissons », a déclaré Grace Nketia, une ancienne employée de PSG, à Bloomberg. Selon elle, il était impossible de compter les cas de harcèlement sexuel, car ils se produisaient tous les jours. Durant les cinq années où elle a travaillé à la taille de la végétation chez PSG, elle a travaillé beaucoup plus dur et gagné moins d’argent que les femmes qui se pliaient aux exigences de leurs supérieurs. Elle a ajouté qu’elle était désormais beaucoup plus heureuse, car elle n’avait plus à repousser les avances de son supérieur.

Selon un rapport, plus de 1000 hectares de forêt tropicale ont également été déboisés depuis 2012 pour agrandir la plantation.

Côte d’Ivoire

Ces dernières années, différentes accusations ont visé la plantation SOGB. Selon une récente étude scientifique, la population indigène, qui avait été expropriée dans les années 1970 par l’entreprise d’État gérant alors les plantations, n’a jamais été indemnisée à hauteur de ce qui avait été promis.  Lorsque la concession a été cédée à Socfin en 1995, les propriétaires coutumiers des terres n’ont pas été impliqués. 

Par ailleurs, la population vivant à proximité de la plantation a rapporté que les engrais et les eaux usées provenant des installations de transformation du caoutchouc polluaient un marais voisin qui est très important pour l’approvisionnement en eau de la population.

Violences commises par les forces de sécurité

Bon nombre des problèmes décrits durent depuis des années déjà. A différents endroits, la population locale a tenté de s’organiser pour défendre ses droits. Mais les manifestations contre les plantations de Socfin ont régulièrement donné lieu à des violences de la part des forces de l’ordre, qui se rangent souvent du côté des multinationales, beaucoup plus puissantes.

La réponse de Socfin aux accusations

Socfin rejette la plupart des accusations portées contre elle et souligne qu’elle s’engage en tant qu’entreprise responsable en faveur des droits humains, des normes environnementales et de l’amélioration continue de ses pratiques. Au cours des dernières années, des mesures importantes ont été prises pour répondre aux préoccupations soulevées, telles que la violence, les conflits liés à l’utilisation des terres et la pollution de l’environnement. Ceci notamment par le biais de commissions sur l’égalité des sexes, de programmes de formation, d’audits environnementaux, de certifications et de coopérations avec des partenaires externes. En 2017, l’entreprise a décidé de ne plus recourir au déboisement pour ses plantations.

Dans le même temps, la multinationale reconnaît qu’il reste des défis importants à relever et que bon nombre de ses efforts ne sont pas suffisamment visibles. Socfin estime que la confiance dans son travail a notamment souffert d’une communication insuffisante. En ce qui concerne les violences sexuelles, elle indique qu’un nouveau plan d’action est en cours de mise en œuvre.

De nombreuses femmes qui travaillent dans les plantations sont à la merci de leurs supérieurs, car elles ne savent pas si elles auront encore du travail le mois suivant. @ Maja Hitij

Un exemple récent vient du Nigeria : selon un rapport de l’Observatoire des multinationales, en 2022, la société Okomu Oil Palm Company, une filiale de Socfin, a fait creuser un fossé d’un mètre de profondeur autour de sa plantation, coupant ainsi du monde extérieur certaines communautés auxquelles il n’était possible d’accéder qu’en traversant la plantation. En mai 2022, les habitant·e·s de ces communautés ont protesté pacifiquement et exigé que le fossé soit rebouché. Iyabo Batu, 56 ans, a été blessée par un tir au genou au cours de cette manifestation, à laquelle elle participait car ses petits-enfants ne pouvaient plus aller à l’école à cause du fossé. Elle-même ainsi que plusieurs témoins oculaires sont convaincus que ce tir provenait d’agents de sécurité de la filiale de Socfin. La filiale de Socfin prétend quant à elle que ses agents de sécurité ne sont pas armés.

Iyabo Batu aurait été blessée à la jambe lors d’une manifestation pacifique © Elfredah Kevin / Creative Commons by-nc-sa

Selon des recherches de l’Observatoire des multinationales, la sécurité de l’Okomu Oil Palm Company est assurée aussi bien par des agents de sécurité privés que par des policiers et des militaires. Ces derniers seraient certes payés par le gouvernement, mais ils recevraient également des rémunérations de l’entreprise et suivraient ses instructions.

Au Cameroun également, des violences ont récemment éclaté dans une plantation de Socfin. Une association de femmes avait planté des bananiers plantains sur une parcelle en friche de la plantation, près du village d’Apouh à Ngog. Selon ces femmes, la restitution de leurs terres serait bloquée depuis des années et la plantation ne laisserait plus aucune place à l’agriculture à proximité du village. Le 26 mars 2025, des employés de la plantation ont remplacé les bananiers des femmes par des palmiers, et la police a utilisé des gaz lacrymogènes contre les villageois·e·s.

« Ils étaient armés de fusils, de gaz lacrymogènes et de matraques », raconte Janvier Ematane Ematane, un villageois, à un média local. Il critique également le fait que Socfin ait replanté des palmiers, alors que la multinationale avait été chargée par le gouvernement local de trouver d’abord un accord avec les villageois·e·s.

Le rôle de la fondation controversée Earthworm

La fondation Earthworm est une fondation dont le siège se trouve à Nyon (VD). Elle accompagne les projets de différentes multinationales dans des pays du Sud. A partir de 2023, Socfin a demandé à la fondation d’examiner les accusations à l’encontre de ses plantations. Depuis, la multinationale se sert volontiers des rapports d’évaluation d’Earthworm et des plans d’action qui en découlent pour réfuter ces accusations ou pour démontrer son engagement écologique et social auprès des ONG locales.

Les évaluations de Earthworm sont toutefois très controversées. Certaines ONG critiquent le manque d’indépendance de la fondation, car elle est financée par ses membres (de grandes entreprises telles que Socfin, Nestlé, Lindt & Sprüngli, Cargill, PX Précinox, etc.). Ainsi, Earthworm évalue par exemple le Lindt & Sprüngli Farming Program en tant qu’ « expert externe », et a attesté en février 2023 que la multinationale du chocolat avait réalisé d’importants progrès. Malgré cela, l’émission Rundschau de la télévision alémanique SRF a découvert en janvier 2024 plusieurs cas de travail des enfants, pourtant interdit, dans la chaîne d’approvisionnement de Lindt. L’émission en conclut que Lindt & Sprüngli ne contrôle pas suffisamment son Farming Program.

Après avoir enquêté sur différentes plantations pour le compte de Socfin entre 2023 et 2025 et malgré sa proximité avec Socfin, Earthworm est arrivée à la conclusion qu’environ la moitié des accusations portées contre Socfin étaient fondées ou partiellement fondées.

Rôle de la Suisse

Bien que le siège principal de Socfin se trouve officiellement au Luxembourg, la majeure partie du négoce de matières premières et la gestion des plantations a été déplacée ces dernières années en Suisse. L’ancien secrétaire général de Socfin a justifié cette démarche en indiquant que la multinationale pouvait ainsi profiter du régime fiscal très favorable aux entreprises dans le canton de Fribourg.

Au total, Socfin gère quatre filiales à Fribourg :

  • Sogescol FR est la filiale qui gère le commerce des matières premières. Selon le site de Socfin, Sogescol est en charge de la commercialisation et de l’exportation du caoutchouc et de l’huile de palme provenant des plantations de la multinationale.
  • Socfinco FR est responsable de la gestion des plantations, comme on peut le lire sur le site de Socfin.
  • Sodimex FR est la centrale d’achat pour les plantations.
  • Induservices FR se charge du développement et de la mise à disposition de solutions liées à l’informatique et à la gestion.
Quatre filiales de Socfin ont leur siège dans l’ancienne poste de Fribourg.

Aujourd’hui, des multinationales de matières premières peuvent opérer depuis la Suisse sans devoir répondre des graves violations des droits humains commises dans leurs plantations. C’est pourquoi l’initiative pour des multinationales responsables est nécessaire.

Comment Socfin intimide les voix critiques

La multinationale Socfin appartient à hauteur de 34,75% au milliardaire français controversé Vincent Bolloré. Selon Bloomberg, le groupe Bolloré et Socfin ont lancé au total plus de 50 actions en diffamation à l’encontre d’organisations non gouvernementales, de journalistes, d’entreprises de médias ainsi que d’auteurs et autrices ayant dénoncé leurs pratiques dans différents pays.

FIAN Belgique est l’une des organisations qui a critiqué Socfin. Florence Kroff, sa coordinatrice, a visité les plantations de Socfin au Sierra Leone en 2018 et mené des interviews avec les populations locales. En 2019, elle a acheté une action de Socfin et, lors de l’assemblée générale de la multinationale, a confronté la direction à des accusations relatives aux violations des droits fonciers. Socfin a réagi en lançant des poursuites en diffamation à l’encontre de Florence Kroff personnellement ainsi qu’à l’encontre de FIAN. Un tribunal luxembourgeois a rejeté la plainte contre FIAN, mais les coûts de la défense se sont toutefois élevés à plus de 60 000 Euros. Interviewée par Bloomberg, Florence Kroff a indiqué en mars 2025 : « Depuis le début, Socfin s’est montrée extrêmement agressive envers toute voix critique. »

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Pour aller plus loin :

Article de La Liberté : « Du sexe contre du travail. Des femmes dénoncent des agressions sexuelles dans les plantations du groupe Socfin dont le commerce passe par Fribourg » du 30 octobre 2025

Plus d’informations auprès de HEKS (anciennement Pain pour le prochain) : « Une multinationale active dans le caoutchouc chasse des paysan·ne·s libériens »

Plus d’informations auprès de FIAN Suisse : Colonialism Today: Land Conflict between Bunong, Socfin and Cambodian State (en anglais)

Reportage de Bloomberg : « The rubber barrons » du 16 avril 2025 avec vidéo et podcast (en anglais)

Reportage de la revue Silence: « Cameroun : face aux violences de Socfin, les femmes résistent ! » de mars 2025

Rapport de SRF : « Wenn die Plantage den Zugang zum Dorf einschränkt » du 7 janvier 2025 (en allemand)

Enquête de Public Eye : « Au Cameroun, le labyrinthe de Socfin » du 17 septembre 2024

Rapport de la commission d’éthique du fonds de pension norvégien : « Compagnie de l’Odet SE and Bollore SE » du 26 juin 2024 (en anglais)

Enquête de l’Observatoire Multinationales : « Au Nigeria, les communautés riveraines d’une plantation dénoncent les mauvais traitements de la Socfin » du 26 mars 2023

Reportage de Dialogue Earth : « Sierra Leone’s conflict palm oil certified as sustainable » du 8 juillet 2022 (en anglais)

Rapport de Global Witness : « RUBBED OUT » de juin 2022 (en anglais)

Étude publiée dans l’EAS Journal of Humanities and Cultural Studies : « Difficult Cohabitation between Agro-Industries and Displaced Populations: Where Does The Problem Come from? » du 21 octobre 2021 (en anglais)

Recherche de Alliance Against Industrial Plantations in West and Central Africa : « Communities in Africa fight back against the land grab for palm oil » du 19 septembre 2019 (en anglais)

Rapport de FIAN Belgique : « Land Grabbing for Palm Oil in Sierra Leone » de février 2019

Rapport ReAct : « L’AGRICULTURE IRRESPONSABLE TROPICALE » de mai 2019

Différents articles de Mongabay sur les plantations de Socfin.

Autres études des cas