Étude de cas

Une explosion chez un fournisseur chinois de la multinationale Lonza provoque la mort de 78 personnes

Le 21 mars 2019, une puissante explosion survenue dans une usine chimique de la ville chinoise de Yancheng a provoqué la mort de 78 personnes. On savait depuis plusieurs années que la fabrique ― un important fournisseur de Lonza, multinationale bâloise active dans l’industrie chimique ― présentait de graves lacunes en matière de sécurité. Malgré cela, l’accident n’a pas été évité.

Eine Luftaufnahme vom 23. März 2019 zeigt den Ort einer Explosion in einem Chemiewerk im Kreis Xiangshui in Yancheng in der ostchinesischen Provinz Jiangsu.
©Li Bo/ Xinhua via AFP

En 2019, Lonza a très brièvement annoncé dans un communiqué de presse qu’une explosion survenue en Chine avait causé une interruption de sa chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, des recherches démontrent que cette explosion ― qui a eu lieu dans une usine de Jiangsu Tianjiayi Chemical (JTC), fournisseur de Lonza ― mentionnée « en passant » dans la dépêche a eu de graves conséquences : 78 personnes y ont laissé la vie et plus de 600 ont été blessées. L’explosion a déclenché un immense incendie qu’il a fallu plusieurs heures pour maîtriser et elle était si violente qu’elle a déclenché un tremblement de terre. La déflagration a provoqué non seulement l’effondrement de l’usine, mais également celui d’autres bâtiments du parc industriel chimique dans lequel se trouvait le complexe (district de Xiangshui). En outre, divers immeubles ont subi d’important dégâts dans un périmètre de six kilomètres autour du foyer de l’explosion.


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De graves lacunes dans le système de sécurité

JTC fabriquait différents produits chimiques et pesticides dans l’usine en question ― notamment, à en croire le quotidien britannique The Guardian, des substances hautement inflammables. Selon son communiqué de presse, Lonza s’approvisionnait auprès du fournisseur chinois en matières premières de type « speciality ingredients » (par exemple des produits antimicrobiens utilisés dans les peintures).

Eine Luftaufnahme zeigt ein Chemiewerk nach einer Explosion in Yancheng in Chinas östlicher Provinz Jiangsu am frühen Morgen des 22. März 2019. - Der chinesische Präsident Xi Jinping wies die lokalen Regierungen am 22. März an, weitere Industriekatastrophen zu verhindern, nachdem eine Explosion in einem Chemiewerk 47 Menschen getötet, Hunderte verletzt und einen Industriepark dem Erdboden gleichgemacht hatte.
©STR AFP

Rétrospectivement, il n’est pas étonnant qu’un tel accident ait pu se produire. Après avoir mené une inspection de JTC en février 2018 ― c’est-à-dire environ une année avant l’explosion fatale ―, les autorités ont publié une liste faisant état de 13 manquements à la sécurité et infractions environnementales, dont certaines très graves. Cette liste mentionnait entre autres l’absence d’une soupape de sécurité dans les réservoirs de benzène où se trouvait le produit chimique probablement responsable de l’explosion. Les autorités ont également découvert un pipeline dissimulé qui menait les eaux industrielles usées dans des étendues d’eau avoisinantes, et cela de manière illégale. Entre 2013 et 2017, JTC a déjà dû payer plusieurs amendes en raison d’une mauvais gestion des déchets et d’une grave pollution de l’air.

Le groupe d’investigation du Conseil des affaires de l’État, autorité chinoise en charge d’enquêter sur l’accident, a établi de manière unanime que c’est l’entreposage illégal de dangereux déchets chimiques sur une longue période qui a provoqué l’explosion. Peu de temps après la catastrophe, un ouvrier a raconté qu’un camion-citerne contenant du gaz naturel avait pris feu et que, à la suite d’une série de petites explosions, l’incendie avait finalement atteint un réservoir de benzène situé à proximité, ce qui a finalement causé l’immense déflagration.

Gros dégâts environnementaux

L’accident a également entraîné une pollution de l’air et des eaux dans un large périmètre. Selon les médias chinois, dans les jours suivant l’explosion, les valeurs de dioxyde d’azote relevées à trois kilomètres à la ronde dépassaient de 2 fois la limite nationale applicable aux zones industrielles.

En concentration élevée, le dioxyde d’azote a des effets toxiques et peut provoquer de graves infections des voies respiratoires. De plus, des niveaux de pollution élevés ont été enregistrés dans les trois cours d’eau du parc industriel, en particulier du dichloroéthane et du dichlorométhane ― deux substances réputées hautement toxiques pour l’être humain.

©STR AFP

Lonza est régulièrement sous le feu des critiques

En Suisse aussi, et cela depuis quelques années, Lonza se trouve régulièrement sous le feu des critiques en raison de diverses atteintes à l’environnement. Les journaux de Tamedia ont découvert en 2020 qu’une usine de Lonza située à Viège, dans le canton du Valais, expulsait chaque année 1800 tonnes de protoxyde d’azote (communément appelé « gaz hilarant »). Ce gaz est 300 fois plus nocif pour l’environnement que le CO2. Ainsi, la fabrique était, à elle seule, responsable de plus de 1% des émissions de gaz à effet de serre de toute la Suisse. Ce n’est certes qu’au printemps 2017 que Lonza a constaté ces émissions de protoxyde d’azote, mais une année supplémentaire s’est écoulée avant que la multinationale n’informe les autorités. Quant au catalyseur censé d’après Lonza diminuer de 98% les émanations, il n’a été installé qu’en octobre 2021.

Les sites contaminés du Valais constituent aussi un problème, notamment la décharge de Gamsenried, dans laquelle Lonza a déversé entre 1918 et 1978 plusieurs types de déchets toxiques tels que mercure, aniline, benzidine et benzène. Fin 2018, on a découvert de la benzidine, une substance cancérigène, dans les eaux souterraines situées sous la décharge.

Bien que Lonza ait constaté ce problème déjà en 2008, à l’occasion de contrôles internes, la multinationale a omis d’en informer les autorités, prétextant que « l’effet de la benzidine n’était pas encore connu à l’époque ». La décharge devrait à présent être assainie. 


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Une loi sur la responsabilité des multinationales contribuerait à empêcher de telles catastrophes 

Il va de soi qu’une multinationale comme Lonza doit aujourd’hui répondre des dommages qu’elle a causés en Suisse. Mais si elle se fourni auprès d’une usine comme JTC, malgré les manquements clairement documentés de ce fournisseur en matière de sécurité et de protection de l’environnement, elle n’a aujourd’hui aucun compte à rendre sur les mesures prises relativement à l’explosion survenue, ni aucune conséquence à craindre. Lonza s’accommode donc de mettre en danger des vies humaines et de polluer l’environnement.

Une loi sur la responsabilité des multinationales permettrait de changer la donne : en effet, Lonza serait dès lors contrainte d’analyser les risques inhérents à sa chaîne d’approvisionnement en matière de droits humains et d’environnement. Avec une telle loi, la multinationale aurait dû conclure qu’elle avait le devoir de veiller à ce que les graves lacunes en matière de sécurité présentées par l’usine chinoise soient comblées.

Angehörige suchen nach einer Explosion in der Pestizidfabrik von Tianjiayi Chemical im Bezirk Xiangshui, Yancheng, Provinz Jiangsu, China, nach einem vermissten Arbeiter, 23. März 2019.
©Reuters / Aly Song

La loi sur la responsabilité des multinationales actuellement en cours de planification au niveau de l’UE permettra à l’avenir d’infliger des amendes aux multinationales européennes qui seraient impliquées dans des scénarios similaires, pour ne pas avoir respecté leur devoir de diligence. Si cette négligence entraîne une catastrophe chez un fournisseur, la multinationale pourra également en être tenue de payer des réparations.

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